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Les enjeux de l’anonymat du don de sperme

Pour ou contre l’anonymat des dons de sperme ?

La question sans doute la plus controversée au cours de ces dernières années a porté sur une éventuelle levée de l’anonymat du donneur de sperme.

En France, dans le cadre des lois de 1994 et de 2004, un enfant né à la suite d’un don de sperme ne pourra jamais connaître, même s’il en exprime le désir, l’identité du donneur dont il est le descendant sur le plan génétique.

Pourquoi l’anonymat ?

Cette disposition est censée protéger l’ensemble des protagonistes d’une IAD : elle renforcerait la solidité de la cellule familiale, tout en mettant le donneur à l’abri d’une irruption de sa progéniture dans son existence. Pourtant, certains enfants nés par IAD ont fait état de la souffrance que leur causait cette règle de l’anonymat.

Qui convient à certains….

Bien entendu, pour que le problème se pose, il faut que les parents aient informé l’enfant sur les modalités de sa conception. Et, parmi les enfants éclairés, les réactions sont diverses. Certains ne souhaitent pas connaître l’identité du donneur et encore moins le rencontrer.

Cette orientation se dégage de la majorité des témoignages recueillis par un psychologue ayant travaillé au CECOS de Lyon : « Mon étude montre que l’anonymat du don de sperme est un système qui convient globalement aux enfants IAD par opposition à un système où l’enfant peut obtenir des informations identifiantes sur le donneur et même le rencontrer. L’anonymat garantit un espace fondamental de liberté de pensée et de fantasmatisation tant pour les parents que pour leurs enfants19. »

Mais pas à d’autres

Cependant, à l’inverse, quelques enfants connaissant l’histoire de leur conception mais pas l’identité du donneur ont publiquement manifesté leurs tourments. Tel est le cas notamment d’un jeune homme ayant publié un livre au titre évocateur : Né de spermatozoïde inconnu . La souffrance de ces enfants s’articule autour de thèmes qui reviennent de façon récurrente dans leurs discours : il leur est difficile de se construire une identité sans connaître pleinement leurs origines ; ils ne peuvent envisager leur propre paternité ou maternité alors qu’une telle zone d’ombre entoure leur genèse ; ils éprouvent une intense frustration de ne pas pouvoir mettre un visage sur celui qui a fait le don et souhaitent connaître les motifs ayant présidé à son geste ; ils craignent d’entrer en contact sans le savoir et de façon fortuite avec un demi-frère ou une demi-sœur ; ils ne supportent pas la chape de plomb que l’institution médicale fait peser sur leur identité et trouvent profondément injustifié le refus opposé à leur quête d’informations.

Témoignage d’un enfant âgé de 28 ans :

«Je suis fils unique. Mes parents m’ont révélé les conditions de ma conception quand j’avais 24 ans […]. Je suis allé au CECOS. J’ai rencontré le professeur qui avait fait ça. J’étais le seul enfant IAD à être venu le trouver. Je ne pensais pas qu’il allait me révéler quoi que ce soit. Je sais qu’ils ont des données et qu’ils les gardent dans des coffres- forts. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas me donner d’information. J’étais un peu en colère, mais je sais que ce n’est pas de son ressort. Mes parents ont compris ma démarche. C’était il y a quatre ans. Il y a six mois, j’ai rappelé, pour rencontrer son remplaçant. La secrétaire m’a envoyé bouler. Moi, je voulais juste le rencontrer. Je souhaite avoir accès à mes origines, je ne recherche pas un père. Je voudrais savoir pourquoi le donneur a fait ce geste. Là, je garde une zone d’ombre dans ma vie. Je n’imagine pas avoir le bonheur de pouvoir mettre un visage… Je ne m’autorise pas à penser comme ça. Je me demande : “Est-il du Sud ? Du Nord ?” Parfois, je me dis que c’est un étudiant en médecine qu’on a obligé à faire ça. Ou que c’est quelqu’un qui a, dans sa famille, ce genre de problème. Est-ce un geste d’amour ? Quand je pense que j’ai été fait au fond d’une éprouvette, c’est assez vertigineux. Cela m’arrive de me dire : “Tiens, cet homme que j’ai croisé, c’est peut-être lui.” Ou quand je vois une fille dans la rue : “Si ça se trouve, c’est ma demi-sœur.” On devrait avoir le droit d’avoir accès à ses origines et de comprendre les motifs21. »

Des associations réunissent ceux qui recherchent leurs origines

Plusieurs associations se font aujourd’hui l’écho de ces souffrances et s’efforcent de relayer les revendications de ces personnes, l’association Procréation médicalement anonyme, créée en 2004 (https://pmanonyme.asso.fr/).

Les CECOS sont contre une levée de l’anonymat

Les responsables des CECOS ne sont pas favorables à une levée, de l’anonymat, pour des raisons diverses qui ne se situent pas toutes sur le même plan. Un premier motif concerne un aspect pratique : il est présumé qu’une suppression de l’anonymat entraînerait une chute du nombre des donneurs, alors même qu’il existe déjà une situation de pénurie. En fait, cette perspective reste discutée et les expériences étrangères ne permettent pas de trancher clairement dans un sens ou dans l’autre. Certains analystes considèrent que le déclin ne serait que temporaire car de nouvelles catégories de donneurs émergeraient.

Les CONTRE : Que se passerait-il si nous passions à un système de donneur à identité connue ?

Un système complexe à mettre en œuvre

La complexité organisationnelle d’un dispositif comportant des donneurs à identité ouverte est parfois soulignée. De fait, sa mise en place impliquerait d’avoir tranché certaines questions : Quelles informations relatives aux donneurs et aux receveurs faut-il collecter ? A quel niveau ces données doivent-elles être conservées et mises à jour (médecins, banques de sperme, autorité centrale) ? Quand et à qui les informations seront-elles diffusées : uniquement vers l’enfant, aussi à destination de certains parents et descendants, voire en direction du donneur ? Des questions plus pointues encore furent soulevées : « Si la levée de l’anonymat était décidée par le législateur, il serait important de réfléchir à la manière dont il faudra s’assurer de la parenté biologique du donneur dont on donnera l’identité (réalisation de tests génétiques sur la paillette et l’enfant ?) et ce qu’il faudra dire aux couples et à l’enfant s’il est prouvé que l’enfant n’est pas biologiquement apparenté au donneur. » Ces difficultés organisationnelles existent mais ne peuvent emporter seules la décision, puisque d’autres pays les ont surmontées, apportant la preuve qu’elles n’étaient pas insolubles.

Et qui ne concernerait que peu de personnes

Un argument fréquemment mis en avant par les adversaires d’une levée de l’anonymat est que cette demande concerne peu de gens, les enfants qui ont exprimé le souhait de connaître l’identité du donneur constituant une petite minorité. Les responsables des CECOS déplorent d’ailleurs, avec un agacement constant et manifeste, qu’ils occupent les médias de façon disproportionnée. Selon eux, il s’agirait de cas particuliers d’enfants qui éprouvent des difficultés existentielles et relationnelles, parce que la levée du secret a été trop tardive et maladroite, ou parce que le père social n’a pas joué convenablement son rôle. Ainsi, le professeur Pierre Jouannet déclare : « La plupart des jeunes adultes qui s’expriment publiquement sur le sujet ou que j’ai eu l’occasion de rencontrer souffrent incontestablement de leur situation. Ils racontent souvent des histoires malheureuses de révélations faites tardivement dans des contextes émotionnels, voire conflictuels, très lourds. Ils sont presque toujours confrontés à un malaise, quand ce n’est pas à de véritables carences dans l’histoire filiale qui les unit à leur père. »

Et accorderait un rôle trop important à cette paternité biologique

Selon ses opposants, la volonté de lever l’anonymat reposerait sur une surévaluation des liens biologiques et participerait de la croyance erronée dans le « tout génétique » dont notre époque serait imprégnée. La règle de l’anonymat favoriserait l’équilibre psychique des individus concernés en séparant clairement deux registres : d’un côté, le géniteur, simple pourvoyeur d’un matériel génétique qui n’a pas à être investi affectivement ou reconnu socialement, faute de quoi le sujet s’enfermerait dans une spirale de désillusions ; de l’autre, les parents d’intention ayant désiré la naissance de l’enfant, et en particulier le père social, véritable point d’ancrage de la cellule familiale. Ainsi, le professeur Jacques Lansac écrit : « Lever l’anonymat du don serait accorder à la parenté biologique une valeur excessive par rapport à la parenté sociale et affective, source majeure pour l’enfant d’équilibre et de sécurité24. » Pour sa part, le professeur Pierre Jouannet déclare : « Ceux qui réclament la levée de l’anonymat le font au nom du droit des enfants à accéder à leurs origines, en s’appuyant sur la convention des droits de l’enfant de l’Unesco. Cette convention dit légitimement que tout enfant a le droit de connaître ses parents. Très bien.

Mais qui est le père ? Est-ce le donneur ? Certainement pas. L’origine d’un enfant conçu par don de sperme est celle de ses parents, un homme stérile et sa femme. Le donneur n’est pas l’élément fondateur de l’enfant. La preuve, c’est qu’il est complètement remplaçable. Le père stérile, lui, est irremplaçable. Sans lui, il n’y a plus de projet d’enfant […]. Dans la procréation par don, l’important n’est donc pas de savoir si le donneur doit rester anonyme, mais ce qu’est un père, qui est à l’origine de l’enfant, qui va assumer la paternité. En requérant l’anonymat du donneur, la loi française de bioéthique prémunit contre le risque de conférer une dimension paternelle au donneur et de fragiliser énormément le vrai père. » En arrière-plan de cette position se trouve un discours assez répandu selon lequel les sociétés contemporaines seraient caractérisées par un effondrement des valeurs patriarcales traditionnelles. Dans ce contexte, les institutions auraient à protéger et à soutenir l’exercice d’une fonction paternelle défaillante. Ceci serait particulièrement impératif dans les situations d’IAD car la position paternelle s’y trouve fragilisée par la stérilité. Le principe de l’anonymat viendrait au secours des pères et donc de la société. Les enfants qui cherchent des informations sur le donneur seraient des individus en mal de référence car leur père n’a pas occupé pleinement sa position. Leur quête serait d’ailleurs vouée à l’échec : une rencontre avec le donneur ne soulagerait pas leur souffrance et risquerait même d’accentuer leur frustration.

Les POUR : Les arguments des pro levée de l’anonymat

Une société de l’information

Ces arguments sont réfutés par ceux qui militent en faveur d’une levée de l’anonymat, parfois depuis longtemps. En premier lieu, ce n’est pas parce qu’une demande émane d’une minorité qu’elle n’est pas recevable, dès lors que cette minorité ne cherche pas à imposer son point de vue et ses pratiques aux autres. Il serait parfaitement concevable que la majorité des acteurs continuent de fonctionner dans un cadre anonyme, comme c’est le cas aux Etats- Unis, tout en ouvrant parallèlement un dispositif à identité ouverte pour ceux qui le souhaitent. Le maintien intégral de l’anonymat semble d’ailleurs contradictoire avec la propension à informer, pour une raison de fait : la tendance à la révélation provoquera mécaniquement une augmentation du nombre de gens souhaitant accéder à l’identité des donneurs ; même si elles restent minoritaires, ces personnes feront de plus en plus entendre leur voix et il sera de moins en moins possible de ne pas faire place à leur revendication.

Des enfants qui seront parfaitement capables de différencier leurs deux pères

En deuxième lieu, il est souligné que les individus concernés sont parfaitement capables d’appréhender le rôle du géniteur à sa juste place. Comme le souligne Dominique Mehl : « Nous n’avons entendu personne tenir le discours du “tout génétique”, alors même que c’est au nom de la dénonciation de cette idéologie qu’on refuse de les entendre. Le “tout génétique” est un mythe ! » D’ailleurs, il ne faudrait pas tomber dans l’excès inverse et sous- évaluer l’importance du lien biologique : « La connaissance de ses origines suppose, pour l’enfant, de savoir dissocier le biologique de l’affectif. En pratique, l’enfant s’en montre capable sans la moindre difficulté. Pour autant, le don de gamètes ne peut être assimilé à un don de sang ou d’organes. La génétique ne définit pas un individu de façon isolée mais elle y participe. »

Des enfants qui souhaitent juste connaitre leur histoire

En troisième lieu, contrairement à l’opinion courante, les individus qui souhaitent rencontrer le donneur ne sont pas forcément des enfants qui s’entendent mal avec leur père, veulent remettre en cause son statut ou son autorité, et recherchent un quelconque parent de rechange. La sociologue Irène Théry insiste sur ce point : « Alors qu’à aucun moment les enfants qui demandent la levée de l’anonymat de leur donneur ne remettent en cause leur filiation et ne prétendent chercher leur “vrai” parent, c’est pourtant l’intention qu’on leur prête. » Il n’existe pas forcément une volonté de transformer le donneur en une figure parentale, ni même obligatoirement un désir de tisser un lien durable et profond avec lui. Il s’agit, pour certains individus, d’assouvir une curiosité parfaitement compréhensible et légitime. Le donneur fait partie de leur histoire. Ils souhaiteraient donc connaître son identité et ses motivations, car ils ont le sentiment que cela les aiderait à construire et stabiliser leur propre identité. Pauline Tiberghien, présidente de l’association Procréation médicalement anonyme, déclare : « Les IAD savent que leurs parents sont ceux qui les ont élevés. Ils veulent juste remplir le puzzle. » Quant à savoir s’ils se font des illusions sur ce que cette quête pourrait leur apporter, sans doute est-ce d’abord à eux d’en juger ! Les attentes des êtres humains sont diverses. Après une rencontre avec le donneur, certains enfants seraient probablement déçus, voire meurtris, tandis que d’autres se montreraient satisfaits. Qui peut savoir ? Pour les premiers, cela leur ouvrirait peut-être la possibilité de passer à autre chose, ce qui est le mouvement même de l’existence. Si l’on souhaite que l’enfant appréhende le donneur comme tel, et non comme un substitut du père, il importe de le lui présenter comme tel, ce qui implique d’abord de pouvoir le lui présenter. Actuellement, ceux dont la quête est barrée éprouvent un vif sentiment d’arbitraire : « Apprendre qu’une institution détient des informations dont on ne dispose pas sur ses propres origines est très souvent vécu comme injuste. »

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